Introduction
Stéphanie MARTY : LERASS (Laboratoire d’Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales) – CERIC Université Paul Valéry (Montpellier)
Dans le contexte contemporain et depuis les années 80, l’aspiration au changement se montre omniprésente, jusqu’à s’instituer en quasi-caractéristique de nos sociétés occidentales. Plongés dans la mondialisation, la mutation numérique et l’accélération des temporalités, soumis à des impératifs de performance et de productivité, les organisations et les individus évoluent dans un mouvement permanent de changement.
Ce changement - organisationnel, personnel - inspire tout particulièrement les chercheurs en Sciences de Gestion (Bartoli, 1990) mais également les chercheurs en Sciences de l’Information et de la Communication (Le Moënne, 1994 ; Benoit, 2013), dans la mesure où il implique des outils, des techniques, des processus info-communicationnels. En outre, ce changement questionne les formes et les contours du management, à commencer par le management des organisations et le management de soi. En effet, à l’heure où les organisations se trouvent confrontées à des changements et des transformations, des modèles managériaux se développent massivement : management agile, lean management, entreprise-projet… Relégués dans des formations ou des manuels managériaux clé en main, ces modèles se présentent comme des outils opérationnels, prêts à l’emploi, dédiés aux managers qui font face au changement organisationnel. Aussi, à l’heure où les individus se trouvent confrontés au changement, des professions se développent, à l’image notamment des coaches, des chief happiness officers, des happiness managers ou des conseillers en communication. Ces professions se présentent comme des appuis, des soutiens destinés à accompagner le changement. Les modèles, manuels, formations, professions que nous venons d’évoquer font l’objet de débats et de critiques particulièrement vifs (Guilhaume, 2009 ; Amadieu, 2013 ; Gysler, 2015), portant notamment sur leur scientificité et leur éthique. Leur scientificité, d’une part, car il est reproché aux modèles managériaux contemporains de reposer sur une pseudo-approche scientifique (Lardellier, 2010). Leur éthique, d’autre part, car il est reproché à ces modèles, en quête d’efficacité maximale, de privilégier la technicisation, l’automatisation, la standardisation, le contrôle… des procédés a fortiori incompétents pour atteindre leur objectif - améliorer le potentiel humain -, puisqu’ils semblent, justement, occulter le facteur humain.
Ainsi, le changement organisationnel et personnel est une problématique vive, particulièrement prégnante dans nos sociétés contemporaines. Dans ce contexte, le LERASS-CERIC a choisi de se pencher sur cette question, à travers un colloque international, intitulé « Développement/changement personnel/organisationnel, communication et management ». Organisé les 28 et 29 juin 2018 au sein de l’université Paul Valéry (Montpellier), ce colloque s’inscrit dans la continuité d’un numéro de la revue COMMUNICATION & MANAGEMENT, paru en 2016 et intitulé : « Développement personnel, changement organisationnel : des individus aux structures, des structures aux individus »1. Il s’inscrit également dans le sillage d’une journée d’études, organisée par le LERASS-CERIC, au sein de l’Université Paul Valéry (Montpellier), le 9 juin 2017.
L’ambition du colloque était d’interroger le changement, à l’ère de la rationalisation managériale, et sous l’angle des processus d’information-communication. Ainsi, les différentes contributions ont interrogé le management « par/de la communication » dans le contexte de changement et de mutation technologique, sociétale et idéologique que connaît notre époque. Une partie de ces contributions a fait l’objet d’une publication dans la revue COMMUNICATION & MANAGEMENT, dans un numéro intitulé « Développement, changement personnel, organisationnel, management et communication »2. Une autre partie de ces contributions est présentée dans les présents actes, en trois volets.
Le premier volet se compose de quatre textes, étudiant, chacun à leur façon, la conduite du changement. Marilou KORDAHI, dans son texte « La conduite du changement, l’analyse de pratiques organisationnelles en transformation : le cas du Groupe Robertet », s’appuie sur le modèle contextualiste du changement et la matrice du changement pour étudier les contextes, le contenu et les processus du changement en jeu au sein du Groupe Robertet, spécialisé dans la culture d’ingrédients naturels et la fabrication de produits naturels. Christelle SUKADI MANGWA, dans son article « Analyse critique de la gestion du changement organisationnel dans une organisation en modernisation : le cas de l’Université de Lubumbashi en République Démocratique du Congo » se penche également sur la conduite du changement, en s’intéressant tout particulièrement aux enjeux de redistribution du pouvoir qui émergent durant les processus de changement organisationnel. Anne FARISSE-BOYE étudie également la conduite du changement, en se centrant quant à elle sur le secteur de l’enseignement. Dans son texte, intitulé « Le management des établissements scolaires : une efficacité virtuelle ? », elle appréhende le changement dans les établissements scolaires, à travers une approche compréhensive et au prisme de la théorie des pratiques. Elle examine le poids du facteur temps (et l’importance d’une vision à long terme), souligne la transformation contemporaine des partenaires en managers, et discute l’opposition trop systématique du changement et de la routine, en introduisant l’idée de changement routinier. Enfin, le texte de Leila NADJI, « De la nécessité éthique face à l’obsolescence de l’homme au monde du travail » vient clôturer ce premier volet, en engageant une réflexion sur la conduite du changement. L’auteure pointe la nécessité de penser le changement à travers un questionnement éthique, afin de redonner à l’homme une considération dans son environnement et l’extraire de l’obsolescence dans laquelle il pourrait succomber.
Le deuxième volet de ces actes regroupe deux textes, pointant différentes alternatives adoptées par des organisations confrontées au changement : d’une part, l’émergence d’accompagnateurs au changement « capacitants » ; d’autre part, l’événementialisation de la pratique sportive. Bénédicte GENDRON, dans son texte « Capital émotionnel et adaptation au changement : quelles compétences pour des formateurs, du personnel d’encadrement, des responsables ou leaders ‘capacitants’ ? » montre combien les responsables d’organisations, les managers, les leaders, les formateurs se transforment aujourd’hui en « accompagnateurs au changement », qui doivent avoir un certain nombre de compétences… et notamment celle d’être « capacitants ». Ce deuxième volet se poursuit avec le texte « Les normes corporelles portées par la vague du bien-être en santé et sécurité au travail : efficience et savoir-être de sportivité/sociabilité des salariés […] ». L’auteure, Naomy DJEDJI, y étudie l’événementialisation de la pratique sportive dans les entreprises, dans une optique de bien-être au travail, mais également, implicitement, dans une optique de communication institutionnelle et hygiéniste, reposant sur un modèle de corps sain, sportif, menant une vie intense au sein d’un collectif. L’auteure livre ainsi une analyse des politiques de développement du bien-être au travail, en questionnant la place du corps dans les activités de travail, son entretien, son vieillissement, mais aussi son optimisation, notamment à travers des pratiques sportives qui valorisent la compétition.
Le troisième et dernier volet de ces actes regroupe deux textes articulés autour du changement et des technologies. Ils abordent les transformations liées à l’usage des nouvelles technologies en matière de relations humaines, et singulièrement au sein des organisations. Emilie BLANC et Arlette BOUZON, dans leur texte intitulé « Des TIC qui recomposent les relations humaines au sein des organisations », révèlent, au moyen d’une recherche-action, de nouvelles stratégies d’usage des technologies numériques par des postiers en souffrance. Les auteures soulignent combien ces stratégies d’usage bousculent et modifient les frontières de la relation d’aide entre les professionnels de l’action sociale et leurs usagers. Ivan IVANOV, dans son article « Chercher l’humain dans l’institutionnel : étude des messages officiels publiés sur les sites web du gouvernement fédéral canadien » étudie quant à lui les messages institutionnels publiés sur les sites web officiels des ministères et des agences fédérales au Canada. Il montre que ces messages ne parviennent pas à appliquer le principe de connectivité performative – qui souhaite promouvoir une plus grande visibilité et présence des individus sur le web – exigé par les directives fédérales. L’auteur indique combien ces constats questionnent la refonte récente des sites web gouvernementaux.
Références citées
AMADIEU J.F. (2013), DRH - le livre noir, Editions du Seuil.
BARTOLI A. (1990), Communication et organisation, Editions d'Organisation.
BENOIT D. (2013), Information-Communication : Théories - Pratiques - Ethique - De la psychothérapie aux techniques de vente, Editions ESKA.
GUILHAUME G. (2009), L’ère du coaching. Critique d’une violence euphémisée, Éditions Syllepse.
GYSLER D. (2015), « Le paradigme de la gestion de soi : management psychologique et gestion de l’affectivité dans le milieu du travail », Revue Horizon, n° 7, printemps.
LARDELLIER P. (2017), Enquête sur le business de la communication non verbale. Une analyse critique des pseudosciences du ‘langage corporel’, Éditions EMS, Management & société.
LE MOËNNE C. (1994), « Communication ‘by smiling around’ et crise managériale », Réseaux, 64(2), 29-52.